Passionné d'aventures en montagne depuis mon plus jeune âge, je vous propose de découvrir ce site internet dédié à mes périples en altitude. Vous y trouverez les récits, photos, et vidéos de toutes les ascensions que j'ai réalisées à ce jour dans le monde entier.
YUSHAN (3952 m) - Versant ouest
Septembre 2024 - Chaîne du Yushan, Taïwan
Le Yushan, également connu sous le nom de "montagne de Jade" (une appellation datant de la dynastie Qing), est un sommet du centre de Taïwan. Son pic principal est le point culminant de l'île, avec 3952 mètres d'altitude. Il est situé à la limite administrative entre les comtés de Nantou, Kaohsiung et Chiayi. Il fut gravi pour la première fois en 1896 par S.Honda, un Japonais, et deux ans plus tard par un occidental.
Protégé au sein d'un parc national, le Yushan constitue un symbole important pour les Taïwanais. Il existe deux itinéraires principaux pour accéder au sommet. Le plus court et le plus populaire est celui de Tataka, qui démarre sur le versant occidental. Il passe par le refuge Paiyun, où la plupart des randonneurs s'arrêtent pour la nuit. Le lendemain il suffit de grimper jusqu'au sommet pour assister au lever de soleil. Cette ascension, dépourvue de difficulté technique, fait partie d'une trilogie asiatique avec le Kinabalu et le Fujiyama.
Au cours d'une année la météo y est très variable. En mai et juin, c'est la saison de la mousson. Ensuite les typhons se produisent de juillet à septembre. Enfin vient la période hivernale avec d'importantes chutes de neige, notamment en janvier et février. D'une façon générale, les étés sont humides et les hivers sont secs au Yushan.
Galerie photos
Jour 1 : Escale à Singapour
Récit de l'expédition
Retour en Asie du Sud-Est, une décennie après avoir exploré le Japon. L'objectif est de découvrir de nouveaux reliefs, moins hauts certes que ceux que j'ai arpenté ces dernières années, mais tout aussi exotiques. Je suis à nouveau accompagné de Pascal avec qui j'ai gravi le Mont Cameroun quelques mois auparavant. Après une escale à Doha nous débarquons à Singapour. Nous avons prévu de passer une journée entière à visiter cette cité-État insulaire située au bout de la péninsule malaise. Anciennement sous domination néerlandaise, puis britannique, Singapour est autonome depuis 1965. C'est un minuscule pays dépourvu de ressources naturelles mais qui a prospéré en devenant un centre financier mondial. Au point de le retrouver désormais sur le podium des PIB par habitant les plus élevés au monde.
Downtown Core, le quartier d'affaires
L'ascension de la colline ne prend qu'une vingtaine de minutes, via un large chemin ombragé. On ne risque pas d'avoir le mal de l'altitude mais cette balade donne une vraie suée compte tenu de l'hygrométrie qui frôle constamment les 100%. Sachez qu'il n'y a jamais de promenade récréative quand on marche dans une forêt équatoriale ! Nous prenons une photo près du rocher marquant la cime. L'endroit ne présente pas un grand intérêt puisque le panorama est occulté par la forêt luxuriante qui nous entoure. Nous redescendons donc rapidement dans les rues du district 11.
Changement radical de décor pour l'après-midi. Nous prenons le métro en direction de "Downtown Core", le quartier d'affaires de Singapour. C'est le cœur économique du pays, avec ses innombrables buildings où siègent les entreprises multinationales et les administrations. Nous sommes surpris par l'audace architecturale de certains édifices qui marient esthétisme, modernité et développement durable, dans un concept de ville-jardin. Mentions spéciales au "Marina Bay Sands", un monumental hôtel de luxe, et aux "Gardens by the Bay", un parc avec d'immenses serres et arbres artificiels. Finalement nous retiendrons de Singapour sa démesure même si, en vrais passionnés de nature, nous conviendrons aussi que cette ville n'a guère d'intérêt autre que celui d'être une plaque tournante du business.
De nos jours l'île est entièrement urbanisée, à de rares exceptions près comme par exemple la réserve naturelle de Bukit Timah. Cette dernière nous intéresse car elle abrite le plus haut point de Singapour (gratte-ciels mis à part !), qui ne s'élève qu'à 163 mètres d'altitude, certes, mais il est inconcevable pour nous de visiter un pays sans en gravir le point culminant ! L'endroit est également célèbre pour avoir été le théâtre d’une bataille cruciale entre les Britanniques et les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, bataille qui tourna à l'avantage de ces derniers.
Bukit Timah c'est la jungle en pleine ville, avec des arbres géants et des broussailles impénétrables qui sont le repaire des singes, des varans, et sans doute d'autres bestioles du même accabit. Finalement c'est un peu de la nature originelle de l'île que l'on retrouve ici, dans ce poumon de verdure, un lieu idéal pour les locaux qui viennent y faire leur footing ainsi que pour les hommes d'affaires souhaitant passer une journée au vert.
Jours 2 à 5 : Typhon au Kinabalu
Nous sommes donc redescendus penauds, sous la saucée, et nous nous sommes octroyés une journée de repos dans un confortable hôtel de Kota Kinabalu. Pour le Kinabalu il faudra revenir dans quelques années, en combinant son ascension avec celles des sommets voisins, ainsi qu'en faisant un détour aux Philippines.
Je passerai vite sur les jours suivants, qui furent loin de nos espérances. En effet nous avions pour but de gravir le Kinabalu, le point culminant de la Malaisie situé sur l'île de Bornéo. Une très singulière montagne rocheuse qui surgit de la jungle et qui, malgré sa surfréquentation, était la promesse d'une jolie aventure. Ce devait même être le point fort de notre périple asiatique. Malheureusement la météo nous a joué un mauvais tour...
En quelques mots : nous sommes montés depuis la porte Timpohon jusqu'au refuge de Laban Rata, à 3300 mètres d'altitude, pour y passer la nuit. Le lendemain matin c'était le déluge. La montagne était balayée par des vents violents et noyée sous des trombes d'eau. Nous avons patienté un long moment en espérant une accalmie, mais rien n'y a fait. Notre guide fut intransigeant : impossible dans ces conditions exécrables de poursuivre vers la cime, et encore moins de parcourir la via ferrata comme cela était prévu. La déception fut immense mais en définitive il n'y a pas de regrets à avoir, car pour des raisons de sécurité les autorités du parc national ont interdit l'accès au sommet pendant 5 jours consécutifs, soit la plus longue période de fermeture de l'année. Et il a fallu que ça tombe sur nous, quelle poisse !
Jour 6 : Welcome to Taïwan !
Après cette sévère déconvenue nous prenons un vol pour Taïwan, où nous espérons meilleure fortune sur les reliefs de cette île qui, bien que relativement petite, est incroyablement montagneuse. Et cela pour une raison simple : elle est située à l'extrémité de la plaque tectonique eurasienne, et regorge donc de sommets, dont 268 qui dépassent l'altitude de 3000 mètres ! Allons de ce pas explorer ce vaste terrain d'aventure !
Une île, deux mondes. Avouons-le : difficile de ne pas instinctivement accoler "Made-in" à Taïwan. Un préfixe indissociable d'un pays vu par les Occidentaux à travers son prisme urbain, sa fourmilière humaine et ses industries manufacturières florissantes qui font battre le cœur du "dragon asiatique". Pour découvrir l'autre facette de Taïwan, celle qui nous intéresse, il faut s'extirper des mégalopoles côtières et pénétrer à l'intérieur du territoire. Là on se fraie un chemin dans la jungle tropicale, par des routes étroites et sinueuses, jusqu'à se heurter à la grande chaîne montagneuse qui traverse l'île de part en part, telle une épine dorsale qui façonne le climat et conditionne la vie des habitants réunis dans de petits villages accrochés aux montagnes embrumées.
Nous commençons par traverser en taxi la capitale Taipei. Dans cette agglomération tentaculaire le paysage urbain est marqué par le gratte-ciel "Taipei 101", en forme de bambou, qui avec ses 509 mètres fut le plus haut du monde jusqu'en 2010. Nous poursuivons notre route jusqu'au comté de Yilan, sur la côte orientale. Au-dessus des rizières, barrant l'horizon, se dressent les premiers reliefs. Notre véhicule s'engage dans une large vallée et nous dépose à Datong, où nous passons notre première nuit.
Jours 7 et 8 : Ascension du Nanhu (3742 m)
Notre premier objectif est le Nanhu, l'un des 5 sommets emblématiques de Taïwan. Il est situé dans le parc national de Taroko, célèbre pour ses spectaculaires gorges sculptées dans le marbre par la rivière Liwu. Son ascension est réputée pour être très longue. En effet la majorité des randonneurs effectuent le parcours en 4 jours. Confiants sur nos capacités, nous ambitionnons de le réaliser en 2 jours seulement. Autant dire qu'il va falloir faire preuve d'endurance !
Le sentier entre dans la forêt et s'élève immédiatement vers le nord jusqu'à un premier sommet, le Shengguang Peak (2285 m). Puis le tracé s'infléchit vers l'est et rejoint une ancienne piste abandonnée avec des bornes kilométriques. De là, le chemin monte en lacets serrés jusqu'à atteindre une ligne de crête que l'on suit facilement. Des rubans colorés balisent le parcours. Il y a également des panneaux indicatifs, mais qui ne sont d'aucune aide pour nous car ils sont écrits uniquement en chinois. En continuant plus loin, toujours sous une épaisse voûte de conifères et de cyprès, nous traversons le Duojiatun Front Peak (2711 m) ainsi que le Duojiatun Peak (2794 m), avant une brève descente vers la cabane Yuleng.
En direction du Nanhu
Un bus franchit le col Siyuan et nous dépose un peu plus loin, au hameau de Shengguang, dans un virage où se trouve une petite ferme-auberge. Nous sollicitons les tenanciers pour conserver nos bagages et nous conduire un peu plus haut, au départ de l'itinéraire, à environ 2000 mètres d'altitude. Nous nous équipons avec chaussures, bâtons, vivres, sans omettre les vêtements anti-pluie, et débutons l'ascension.
C'est un refuge typique de Taïwan : simple et rustique. Un frêle baraquement perdu en pleine jungle. On peut quand même y louer un sac de couchage et se faire servir le dîner. Après quoi il faut rejoindre, dès la nuit tombée, le dortoir au caractère militaire : un alignement de couchettes inconfortables sur lesquelles s'alignent les randonneurs taïwanais, qui sont montés ici par grappes de 10.
Le lendemain, à 3h du matin, nous ne sommes pas fâchés de quitter cet endroit pour partir en direction du sommet. A la lueur de nos frontales nous suivons le sentier qui perd tout d'abord un peu d'altitude avant de se redresser brusquement. Nous grimpons très raide entre les arbres, mais la progression n'est pas difficile. Il faut simplement rester vigilant à cause des racines et des rochers glissants. Aux endroits les plus délicats des cordes ont été installées pour faciliter le passage.
Le ciel s'éclaircit progressivement à mesure que nous gagnons de la hauteur. Vers 5h nous parvenons sur un alpage au niveau du Shenmazhen Peak (3140 m). A partir de ce point la forêt laisse place à des arbustes torturés par les vents, qui eux-mêmes finissent par s'effacer au profit d'une steppe rase, dernier étage de cette grande fresque botanique. Nous parcourons ensuite la longue ligne de crête qui relie le Nanhubei Peak (3534 m) au Nanhu North Peak (3563 m). Le décor se fait plus minéral, plus austère aussi. Notre objectif final se dessine derrière une nappe de brouillard. Pour l'atteindre le chemin est encore long : descendre d'environ 200 mètres jusqu'à la cabane Nanhu, puis remonter dans une combe côté opposé. Une fois parvenu à un col il faut porter l'estocade finale en gravissant le flanc sud-est, rocailleux mais facile.
Nous atteignons enfin, après six heures d'efforts, le large sommet du Nanhu (3742 m). De là-haut nous profitons d'une vue étendue sur une floppée de montagnes inconnues dont certaines, envahies par la jungle, ne sont sûrement jamais gravies. J'identifie tout de même nos deux prochains objectifs : le Xueshan, de l'autre côté de la vallée, et le Yushan bien plus éloigné au sud. Nous mangeons un morceau et savourons ce premier succès avant d'entamer la descente.
Le retour s'annonce interminable mais je décide tout de même, au forceps, de faire un détour en solitaire pour gravir les cimes voisines. J'effectue alors le tour des crêtes du Nanhu, parcourant par le haut l'ancien cirque glaciaire. Je complète ainsi la journée avec les ascensions du Nanhu Central South Peak (3572 m), du Nanhu East Peak (3639 m) et du Nanhu Northeast Peak (3557 m). Une jolie boucle improvisée, totalement en dehors des itinéraires habituels. Quelques liaisons me donnent d'ailleurs du fil à retordre puisqu'il faut me battre avec une végétation dense et épineuse pour progresser.
Je retrouve mon coéquipier bien plus bas, sur le chemin nous ramenant vers le refuge. Je prends rapidement les devants et file à grandes enjambées vers la vallée car un taxi nous y attend à 16h. Il serait fâcheux qu'il parte sans nous. Cette descente n'en finit pas, mais à vrai dire ce n'est pas tant la descente qui nous épuise, ce sont plutôt les multiples remontées dans la forêt, sous une pluie battante. Car oui le ciel s'est couvert et il pleut dru, comme souvent lors des après-midi taïwanaises. Finalement, à la tombée de la nuit, nous retrouvons notre point de départ. Le taxi a eu la délicatesse de nous attendre. Après avoir modifié nos plans pour la suite du séjour il nous conduit dans un hôtel de Lishan, un village perché à flanc de montagne, le long de la "Provincial Highway 7", la longue route centrale transinsulaire.
Jours 9 et 10 : Repos à Lishan
Deux journées complètes de repos qui ne sont pas volées, tant les jours précédents ont été rudes. Nous en profitons pour explorer tranquillement les alentours de Lishan. C'est un village traditionnel, à des années-lumières des mégalopoles futuristes de la côte ouest du pays. Nous effectuons une courte promenade sur les hauteurs. Les flancs abrupts sont occupés soit par la jungle, où des cigales émettent un son strident, soit par des vergers. Ici, à 2000 mètres d'altitude, les villageois profitent d'une température plus conforme à nos standards occidentaux pour cultiver des pommes, des poires, des pêches, et du thé oolong.
En prenant le petit déjeuner à l'hôtel nous avons chaque matin une vue imprenable sur le Xueshan, la "Montagne de la Neige", deuxième plus haut sommet de Taïwan, qui s’élève de l’autre côté de la vallée, épaulé par une ribambelle de cimes secondaires. Et si nous allions lui rendre une petite visite ?
Jours 11 et 12 : Ascension du Xueshan (3886 m)
Nous prenons cette fois la direction du parc national de Shei-Pa, connu pour ses ours noirs et les tribus aborigènes Atayal et Saisiyat. Le taxi dépasse Wuling Farm, une station de loisirs très populaire auprès des Taïwanais, en tout cas ceux qui s'intéressent aux montagnes du centre du pays, ce qui est loin d'être la majorité. Au bout d’une route en lacets nous arrivons près d'une jolie maison en bois surplombant la vallée. C'est le point de départ de notre seconde randonnée. Nous présentons notre permis d’ascension aux autorités du parc et débutons l’ascension sans plus tarder.
Le début du chemin est très aménagé avec des marches en bois. L’étape du jour s’annonce très courte : à peine 400 mètres de dénivelé pour atteindre le refuge. Alors autant prendre notre temps et se plonger dans le paysage. Autour de nous la végétation est luxuriante. Au-dessus de cette jungle d’altitude nous ne pouvons pas distinguer les cimes qui sont empêtrées dans le brouillard. Mais le jeu des nimbes sur les reliefs, sur les arbres, sur les nuages, offre un beau spectacle. On se croirait projeté dans un tableau de maître à l’encre de Chine, ou dans un univers boisé fantasmagorique digne de l’imaginaire de Miyazaki.
Après une heure de marche dans ce bain de forêt nous arrivons à la cabane Qika. Là encore le mot rudimentaire prend tout son sens. Nous déposons nos sacs dans le dortoir et rejoignons la cuisine où de nombreux randonneurs sont attablés. Le dîner n’est pas transcendant. Il faut dire que nos goûts alimentaires différent beaucoup de ceux des locaux. Mais nous nous en contentons compte tenu du contexte et de l’équipement minimal avec lequel les gardiens travaillent. A 18h30, au dodo !
Ambiance mystique au Xueshan
Le moins que l'on puisse dire est que la nuit n'est pas réparatrice pour moi : entre le jet-lag, le confort rugueux du dortoir où l'on dort tous alignés sur une longue paillasse, et le concerto pour ronflements d'une trentaine de taïwanais fatigués, je lutte pour trouver les bras de Morphée.
3h, branle-bas de combat. Une fois encore j'ai frôlé la nuit blanche puisque mon corps n'a trouvé le sommeil qu'à quelques minutes du retentissement de l'alarme du réveil. Nous avalons un maigre petit déjeuner et sortons du refuge. C'est une ambiance cotonneuse, non due au manque de sommeil mais à cause du brouillard, qui nous cueille de bon matin. Mais la motivation est là, intacte, alors nous nous mettons en marche sur le sentier qui se trouve à l’arrière du bâtiment.
Nous gagnons vite de l'altitude dans la noirceur de la jungle, jusqu'à un épaulement dégagé à presque 3000 mètres. Nous sommes maintenant au pied d'un passage encore plus pentu : rien de difficile, cependant un panneau indique que nous nous apprêtons à franchir la "heartbreak hill", la côte qui fend le cœur... et les mollets. Cette volée de marches rocheuses nous conduit déjà au Xueshan East Peak (3201 m), insignifiant sur le plan topographique mais qui apparaît, pour une raison que j'ignore, dans la liste mythique des "100 sommets" incontournables à gravir. C'est souvent ainsi à Taïwan : chaque montagne possède plusieurs sommets : est, ouest, nord... qui sont parfois assez distants les uns des autres. Notre but final, le "Main Peak" est ainsi encore bien loin.
Le chemin devient plat. Il est un peu racineux, un peu caillouteux, mais facile à suivre. Nous passons au-dessus de la "cabane 369", c'est son nom, qui est l'étape classique pour la nuit, mais elle est actuellement en travaux. Des randonneurs ont campé à côté du bâtiment. Plus haut nous traversons la "forêt noire" et ses hauts sapins millénaires. Une fois sorti de la forêt, vers 3700 mètres, le sentier passe à travers des éboulis. Il rejoint une moraine semée de rhododendrons, dans un ancien cirque glaciaire. Enfin, une ultime pente rocailleuse, assez soutenue, nous amène sur la cime du Xueshan (3886 m).
Nous sommes bien contents d'atteindre le but, malgré le fait que nous soyons dans les nuages. Le sort aujourd'hui n'a pas voulu nous offrir les splendeurs de Taïwan, mais il a quand même été assez clément pour nous laisser le plaisir d'atteindre le sommet. A dire vrai c'est un peu comme de jouer aux dés, que de randonner ici : le ciel est assez capricieux. Un coup on gagne et l'on admire de tous côtés l'océan, entouré de montagnes et de forêts tropicales. Un autre on se perd dans les nuages. Ça fait presque partie du charme. Au Nanhu, quelques jours plutôt, nous avions gagné. Cette fois nous nous contenterons d'un voile blanc.
Après la rituelle photo devant le rocher indiquant le sommet et l'altitude, nous nous lançons dans la descente. Il n'y a pas grand chose à dire sur ce retour qui est particulièrement long et ennuyeux. De temps en temps les nuages se dispersent pour nous laisser entrevoir le panorama. Sur le chemin nous croisons les ouvriers de la "cabane 369" qui montent au chantier via des chariots posés sur un petit rail. Ce sera le seul moment de surprise dans cette soporifique descente. Une fois parvenus tout en bas nous informons les gardes de notre sortie du parc national et retrouvons notre taxi. Celui-ci nous conduit loin, très loin au sud, par une interminable route de montagne (franchissant le col Hehuan à plus de 3200 mètres !), jusqu'à la ville de Shuili que nous atteignons en fin d'après-midi.
Jour 13 : Ascension du Yushan (3952 m)
Il nous reste une seule option : contourner tout le massif (soit 4 heures de trajet) et emprunter une autre route pour accéder au départ du sentier. Nous n'avons pas le choix et donc, après avoir mangé sur le pouce, pris une douche et dormi deux petites heures, nous reprenons la route. Le taxi fait un long détour par l'ouest, passant par Zhushan, Meishan, puis la célèbre forêt d'Alishan. C'est long, d'autant que la conduite sportive de notre chauffeur ruine nos tentatives naturelles d'endormissement.
Nous voilà enfin au Paiyun Mountaineering Center, à 2600 mètres d'altitude. Il est 1h du matin et il faut se mettre en marche, malgré notre état de fatigue avancée. C'est très dur mais nous sommes prêts à serrer les dents jusqu'au bout, car dans notre esprit il est hors de question de quitter cette île sans en avoir gravi le plus haut sommet. Il nous faut tout d'abord parcourir la route goudronnée jusqu'au col de Tataka, soit 3 kilomètres pour se remettre en jambes. Ensuite c'est le début du sentier. Celui-ci s'élève doucement vers l'est, à flanc de montagne. On passe parfois près de précipices, sur des passerelles étroites ou des escaliers, alors mieux vaut regarder où on met les pieds même si, en soi, ce n’est pas une randonnée technique. La progression se fait sur un sentier plat 80% du temps. Il y a quelques montées, mais elles sont courtes et le chemin est parfaitement entretenu. Toutefois je dois dire que cette première partie jusqu'au Paiyun Lodge est quelque peu longuette. En manque cruel de sommeil, je commence à piquer du nez. C'est dans un état de torpeur que j'arrive sur la terrasse du lodge, à 3400 mètres, un peu avant Pascal qui a adopté un rythme plus lent.
Du repos aurait été bien mérité, mais il va s'avérer de très courte durée. En effet, à peine avons-nous posé nos valises dans une auberge que les gérants nous refroidissent franchement : la route conduisant vers la randonnée du Yushan est fermée de 17h à 7h du matin. Une information dont nous ne disposions pas et qui contrarie grandement nos plans car nous avions l'intention de débuter l'ascension en pleine nuit, afin d'atteindre le toit de Taïwan à la journée.
Généralement les randonneurs passent la nuit ici et poursuivent leur ascension très tôt le matin, afin d'être au sommet à temps pour assister au lever de soleil. C'est ce que nous avions envisagé à l'origine, avant que notre parfait programme ne soit bouleversé par les prévisions météorologiques.
Au sommet du Yushan, toit de Taïwan !
En 1542, les marins portugais voguant pour la première fois le long des côtes découvraient une terra incognita qu’ils affublèrent du nom de Ilha Formosa ("île merveilleuse") sur leurs cartes nautiques. Cinq siècles plus tard, ce bout de terre devenu Taïwan surprend toujours les voyageurs. Il en émane un charme indescriptible et le sentiment que même ici, dans la région la plus dynamique du monde, il restera toujours quelque chose d’immuable.
Au-dessus du refuge se trouve la portion la plus ardue, avec une montée constante dans la forêt puis au milieu des épineux. Plus haut encore la végétation finit par disparaître, signe que j'approche du but. Le final se déroule sur un terrain rocheux très pentu, dans lequel il faut poser un peu les mains, mais des chaînes sont là pour aider les moins agiles. Alors que je suis dans les ultimes mètres un miracle que je n'osais plus espérer se produit : les nuages se disloquent, me permettant d'atteindre le sommet du Yushan (3952 m), également connu sous le nom de "Montagne de Jade", sous un ciel partiellement dégagé ! Victoire !
La météo du jour, d'ailleurs, n'est pas bonne. Dans la nuit noire j'ai même aperçu des éclairs, flashant un ciel entièrement couvert de nuages. Alors que je poursuis mon ascension je ne me fais guère d'illusion : la cime est sans doute prise dans les nuages, et pour le panorama il faudra revenir.
Pascal me rejoint quelques minutes plus tard. Nous célébrons ensemble cette ascension réussie. Il faut dire que nous avons à plusieurs reprises douté de notre succès. Nous sommes seuls au sommet, ce qui doit être relativement rare, alors il faut profiter de cet instant béni. De fortes rafales de vent chassent les nuages, nous laissant entrapercevoir furtivement des bribes de panorama. Celui-ci porte loin, sur nombre de cimes couvertes de jungle, notamment côté sud où s'étendent de longues vallées sauvages.
Second point : afin d’accéder à la plupart des hauts sommets de l’île, il vous faut un permis. Certains sentiers nécessitent un “National Park Permit”, d’autres un “Police Permit”, et parfois il vous faut les deux. Si vous êtes un touriste, vous pouvez profiter de la “priority application” qui permet de faire votre demande en ligne avant les randonneurs taïwanais. Il vaut mieux procéder de cette manière car en passant par le système classique, il est très difficile d’obtenir un permis du fait du nombre énorme de demandes et des places limitées dans les refuges. Je vous conseille d'éviter les périodes de vacances, ainsi que les week-end, pour ne pas être un candidat parmi des milliers d'autres, avec une chance infime d'être sélectionné par leur système de "loterie".
Nous filons dans la descente. Une fois revenus au refuge nous présentons aux gardiens notre permis d’ascension, âprement acquis via de complexes démarches en ligne que j'évoquerai un peu plus bas. La suite du retour s’effectue au soleil, car le ciel est nettement plus dégagé dès lors qu’on s’éloigne des hauteurs. Nous avions presque oublié à quel point c'est un plaisir de randonner avec une météo radieuse. De retour au col de Tataka nous profitons de la présence d’une navette qui, pour un prix modique, nous épargne les quelques kilomètres de bitume et nous ramène à notre point de départ du Paiyun Mountaineering Center. C'est un sentiment de plénitude qui nous envahit car la mission est accomplie ! Dans l’après-midi nous sautons dans un bus pour revenir à notre auberge de Shuilin.
Jour 14 : Adieux à Sun Moon Lake
Il est désormais temps de quitter Taïwan, après en avoir gravi les 3 principaux sommets dans des conditions délicates. Les éléments ont joué contre nous, mais l’essentiel est là car nos objectifs sont atteints. Avant notre départ nos hôtes nous proposent gentiment de nous faire découvrir Sun Moon Lake, un lac touristique qui est la destination préférée des jeunes mariés. C'est une grande étendue aux reflets smaragdins, dominée par des pagodes et des collines verdoyantes. Ce n'est pas ce que j'appelerais un incontournable, mais si vous êtes dans le secteur cela vaut la peine d'y faire un tour. Ensuite nous rejoignons Taichung en bus, puis montons à bord du THSR, le TGV local qui nous propulse en un clin d'œil à l'aéroport international, mettant ainsi fin à notre périple.
En conclusion de ce récit je souhaite donner de précieux conseils à ceux qui, parmi vous, envisagent d'arpenter un jour les montagnes taïwanaises. Sachez que ce périple, avant d'être de simples randonnées en montagne à la portée de tous, ou presque, a surtout été un véritable casse-tête logistique.
Premier point : l'idéal pour se déplacer librement aurait été la location d'une voiture. Mais les autorités du pays imposent la détention d'un permis de conduire international. Un sésame indispensable que nous avions sollicité auprès de l'administration française, sans savoir que le délai d'obtention avoisine 5 mois... Bref, après avoir enragé sur la lenteur légendaire de notre service public, nous avons compris qu'il fallait nous débrouiller autrement, d'où l'utilisation d'un taxi. Un moindre mal dans la mesure où cela ne fut guère plus onéreux qu'une location de véhicule, mais nous n'avons pas pu vadrouiller à notre guise dans le pays. Dommage.
Malgré ces imprévus nous garderons un bon souvenir de Taïwan. Un territoire empreint de sérénité, même s'il est convoité par la Chine, qui n'y détient aucun pouvoir politique, mais qui entend bien y rétablir sa souveraineté. Actuellement la Chine communiste exerce sur l'île une pression croissante pour l'amener à se soumettre pacifiquement. Taïwan, de son côté, s'est doté d'une armée puissante afin de rendre une soumission par les armes aussi coûteuse que possible pour Pékin. Espérons que les revendications, menaces et intimidations de l'Empire du Milieu ne mèneront pas à un conflit militaire qui serait synonyme de bain de sang.